- ARMES ET ARMEMENTS - Histoire des armements
- ARMES ET ARMEMENTS - Histoire des armementsL’histoire de l’armement se confond avec l’application des progrès de la science et de la technique à la guerre. Cette histoire a connu de longues périodes d’améliorations progressives, mais coupées de brusques avancées quand une nouvelle découverte vint mettre en question les habitudes du moment (par exemple l’étrier, l’arme à feu, le blindé, les engins nucléaires). Toutefois, si le plus souvent les progrès des armes suivent rapidement ceux de la technique, de longs délais peuvent intervenir entre la mutation technique et sa pleine prise en compte par la tactique et/ou la stratégie: il faut attendre la retraite des hauts responsables (aussi bien politiques que militaires) et leur remplacement par la génération suivante pour remettre en question les confortables habitudes de pensée qui avaient fait tenir les novateurs précoces pour d’inquiétants originaux.Les matériels se présentent sous divers aspects, que le jargon militaire actuel (chaque spécialité a son jargon) qualifie de fonctions . C’est ainsi que l’on parle des fonctions de mobilité, de protection, de liaisons-transmissions, de détection, de soutien et, plus spécifiquement «guerrière», de la fonction d’agression. Le terme ne fait pas nécessairement appel à une idée d’attaque, d’assaut, mais à des capacités destructrices et/ou vulnérantes: une mine antichar, défensive par destination, ou un engin de défense antiaérienne possèdent la fonction agression. Un char réunit la mobilité, la protection, la liaison, la détection et l’agression (au service de laquelle se trouvent les autres fonctions dans ce système d’arme). Un camion de logistique n’a que la fonction de mobilité.Le texte qui suit, nécessairement limité, concernera presque exclusivement ce qui, dans les matériels militaires, est relatif à cette fonction agression. Il conviendra, pourtant, de ne pas perdre de vue que, devant être associée aux autres fonctions nécessaires à sa mise en œuvre, l’arme est soumise à de multiples contraintes, ce qui implique de difficiles compromis entre les diverses exigences.1. Les machines de siègeDès la plus haute antiquité, les armes individuelles furent doublées, dans certaines régions, de matériels lourds: les engins de siège. Les Assyriens, par exemple, confrontés à des fortifications de briques (rarement cuites), mirent en œuvre le bélier lourd, oscillant sous bâti, pour l’attaque des portes, et celui à longue pointe métallique, ainsi que l’énorme marteau brise-muraille , pour celle des remparts. La tour mobile permit la prise à partie, de niveau, des défenseurs du chemin de ronde et l’assaut. Le mantelet protégeait le mineur sapant la muraille.Contre des remparts de pierre élevés sur des éminences rocheuses, les Grecs de la même époque devaient se limiter au bélier contre les portes et aux échelles d’escalade . Mais, à partir du IVe siècle avant notre ère, ils inventèrent les premières machines de jet: d’abord celles qui, utilisant la flexion, donnaient des engins analogues à de gigantesques arcs sur bâtis; ensuite, celles qui faisaient appel à la force de torsion d’écheveaux de «nerfs» d’animaux, de cordages, voire de cheveux. Cette artillerie, dite névrobalistique, lançait d’énormes flèches ou des boulets de pierre pouvant atteindre 3 «talents-poids» – 87 kg –, fracassant les merlons entre les créneaux des tours et des murailles.Les textes que nous détenons ne permettent pas toujours de savoir – sauf par un nom par lui-même explicatif, comme le lithobolos – si tel type d’engin était aménagé pour le tir de flèches ou, grâce à une «poche», pour celui de boulets. Le mot catapulte , du grec katapeltès , signifie «renverseur» ou «perceur» de bouclier. Les portées pouvaient atteindre 150 à 220 m en tir tendu et 400 m en tir courbe.Le Moyen Âge inventa le nouveau principe d’énormes machines à contrepoids, les trébuchets et mangonneaux , projetant en trajectoire courbe des projectiles de plusieurs centaines de kilogrammes jusqu’à 200 m environ.Les gros engins furent toujours construits sur place. Mais, dès l’époque de César, les Romains utilisèrent des lanceurs légers – montés souvent sur chariot – pour le combat en rase campagne. Sous l’Empire, la légion reçut une dotation réglementaire de dix catapultes et soixante-quatre scorpions mobiles, de campagne. Cette première artillerie disparut vite devant la concurrence du canon, plus précis et plus puissant, mais qui, pour les gros calibres, posait de difficiles problèmes de mobilité par son importante masse unitaire.2. Les armes à feu portativesElles apparurent au XIVe siècle, peu après la bombarde . Le bâton à feu , ou canon à main , est un tube de fer prolongé par une tige ou monté sur un fût pour son maintien. Il lance de courtes flèches fixées sur un «sabot», puis des balles. La mise à feu se fait en approchant du «bassinet», contenant de la poudre fine (pulvérin), une braise, puis une mèche lente imprégnée de salpêtre. L’inflammation se communique à la «chambre» par la «lumière», percée à travers la paroi du canon. Bien qu’inférieure, à ses débuts, la nouvelle arme élimine vite l’arbalète – mais non l’arc – pour une simple question de coût: avec son accessoire (treuil, «cranequin») de mise sous tension, la puissante arbalète de l’époque revenait de vingt à trente fois plus cher.Se perfectionnant, le bâton à feu devint l’arquebuse (Hackenbüchse ), dont le fût s’améliora en crosse; les modèles puissants reçoivent un croc qui, fiché dans le rempart, absorbe le recul. Mais, surtout, au lieu d’être appliquée à la main, la mèche est tenue par une tige pivotante, le serpentin, qui l’appuie exactement sur le bassinet: toute l’attention peut être consacrée à la visée. Puis ce serpentin est poussé par un ressort libéré en pressant une détente. L’ensemble mécanique est une «platine». Certaines armées l’emploieront jusqu’à la fin du XVIIe siècle, malgré ses inconvénients; notamment la mèche, qui se consume, doit être fréquemment avancée dans la pince du serpentin.Vers 1525, la platine à rouet est inventée en Allemagne: la détente libère une molette (entraînée par ressort spiral) sur laquelle un chien applique une pyrite de fer, projetant des étincelles sur le pulvérin, qui a été d’abord démasqué, à la pression sur la détente, par écartement d’un «couvre-bassinet», dont le rôle est d’empêcher la chute de ce pulvérin quand l’arme est inclinée, de le protéger du vent et – dans une certaine mesure – de la pluie. La nouvelle platine est coûteuse, fragile, mais permet de réaliser une «mini-arquebuse» pouvant être tirée d’une seule main: le pistolet .Au XVIe siècle apparaît le mousquet , puissant mais lourd et long: avant son allégement, il devra être appuyé sur la «fourquine» pour pouvoir viser. Le temps de rechargement, deux à trois minutes, continue à devoir faire protéger les tireurs par des piquiers pour le cas d’une charge de cavalerie lancée juste après une salve.Vers 1550 est créée la platine à batterie et silex. Elle sera définitivement mise au point en 1614 par Marin Le Bourgeoys et sera utilisée pendant plus de deux siècles. L’arme, devenue un fusil , est mise à feu par le choc d’un silex porté par le chien sur les rainures d’une lame d’acier – la batterie – solidaire du couvre-bassinet que ce choc fait ouvrir.La France fut un des derniers pays à adopter la platine, qu’elle avait pourtant inventée, mais le premier fusil réglementaire, de 1717, ne sera plus fondamentalement modifié jusqu’en 1840, sauf sur le point de la rigoureuse standardisation du fusil 1777 (Gribeauval), dont les conséquences furent non seulement industrielles mais surtout militaires: les réparations au cours d’opérations purent désormais être effectuées avec des pièces n’ayant besoin d’aucune retouche. Ce modèle 1777 est par excellence le type d’arme qui, partout, allait rester en service pendant près de trois quarts de siècle. Au calibre de 17,5 mm, il tirait (à 2 coups par minute) des balles de 16,5 mm, le «vent» de 1 mm étant nécessaire pour éviter des coincements de la balle par les résidus de poudre et de bourre après quelques coups (portée: 300 m, mais efficace à moins de 200 m). La forte dispersion justifiait l’absence d’organes de visée – le pouce faisant office de hausse – et limitait le tir sur les seules formations serrées (d’ailleurs exclusives à l’époque).Depuis longtemps, on avait taillé des rayures, droites puis hélicoïdales, dans des canons de mousquet avec l’idée que les «crasses» de combustion s’y logeraient. Les projectiles devaient y être descendus «à force». On constata que les balles et surtout les «lingots» (utilisés pour le gros gibier) avaient une précision et une portée très supérieures dans ces carabines (ou «fusils à canon carabiné»), que l’on produisit en petit nombre dès le XVIIe siècle, mais pour les chasseurs et pour certains cavaliers, afin de donner de la puissance à leurs courts mousquetons . Le trop lent rechargement (de 2 à 3 min) ne pouvait convenir à l’infanterie.En 1840 fut créée la balle cylindro-conique, à culot creux, qui «coulait» dans le canon, mais à laquelle un vigoureux coup de baguette faisait prendre les rayures par tassement sur un épaulement de la chambre. Le «vent» étant supprimé, la portée et la précision rendaient nécessaires des organes de visée.Peu avant, d’ailleurs, on avait mis à profit la propriété du fulminate de mercure d’exploser au choc. La platine à percussion supprimait le bassinet et remplaçait le chien à silex par un autre, «à marteau», frappant une capsule de fulminate qui coiffait la «cheminée», vissée sur la lumière. Dès lors, le nombre des ratés fut infime; la cadence de tir passait à 2 ou 3 coups par minute.Mais simultanément vint la révolution du chargement par la culasse d’une cartouche complète (poudre, amorce, balle); c’est en 1841 que la Prusse adopta discrètement le fusil Dreyse de ce type. Le percuteur, placé dans une culasse coulissante, venait frapper l’amorce de fulminate. Le coup parti, il suffisait de ramener la culasse, d’introduire une autre cartouche et de refermer, ce qui bandait le ressort de percussion et verrouille la culasse.L’arme offrait deux avantages considérables: la cadence passait à 8 coups par minute environ, et le chargement pouvait se faire en position couchée, favorisant le «tir posté», précis, et évitant d’offrir pendant de trop longues secondes la cible facile de l’homme debout. Mais les autres puissances européennes ne suivirent qu’après le conflit austro-prussien de 1866: un retard de vingt-cinq ans, qui fut comblé en partie – et mal – par la transformation (culasse «à tabatière») des vieux fusils du type XVIIIe siècle, en partie par le début de production d’équivalents du Dreyse, mais améliorés. (Notamment en passant au 11 mm, à trajectoire tendue, limite inférieure des calibres à poudre noire.)Mais l’obturation, à l’interface culasse-chambre, restait imparfaite pour les cartouches de papier ou de tissu. On en vint donc à l’étui de laiton, malgré son coût et le problème nouveau de son extraction. Rigide, la nouvelle munition pouvait être manipulée par un mécanisme: la fin du siècle vit l’apparition du fusil à tir rapide , à répétition manuelle. L’ouverture de la culasse éjecte l’étui vide; sa fermeture alimente la chambre d’une autre cartouche présentée par le magasin. La cadence pratique monta à 12 coups par minute pour l’arme à magasin linéaire (type Lebel) et à plus de 20 pour les armes à magasin vertical alimentées d’un coup par chargeur ou par lame-chargeur. L’étui de laiton accéléra aussi le rechargement du revolver et permit la mise au point du pistolet (semi-)automatique.En 1880, les poudres colloïdales, plus puissantes, sans «fumée», et ne laissant pas de résidus, avaient permis de réduire les calibres dans la gamme de 6,5 à 8 mm. Moins lourdes, ces cartouches offraient une plus grande réserve de munitions. Par sa portée, sa précision, sa pénétration, sa densité de feu, le petit calibre allait dominer le champ de bataille et éliminer la cavalerie classique.La possibilité de tir très rapide, continu et prolongé était apparue en 1861 avec la mitrailleuse Gattling (à canons multiples, contre l’échauffement) dont le «moteur» était une manivelle à bras. On chercha vite à utiliser l’énergie inutilisée au départ du coup – en tant que «machine thermique», le rendement était faible, de l’ordre de 30 p. 100 – pour le fonctionnement automatique: le tir était continu aussi longtemps que la détente était pressée (ou des munitions disponibles à l’alimentation). Deux systèmes se révélèrent pratiques: le Maxim, par emploi du recul; le Browning, par piston actionné par prélèvement de gaz en un point du canon. Les mitrailleuses réalisent donc le cycle complet: percussion, ouverture, éjection, alimentation, fermeture, verrouillage. Outre le principe de base, les différences portent sur les méthodes d’alimentation et de verrouillage. Longtemps, et pour simplifier la logistique, cette arme a utilisé les mêmes cartouches que le fusil. La précision et la portée étaient donc comparables, mais la cadence instantanée passait à 550-700 coups par minute.Mais la mitrailleuse est trop lourde pour suivre le premier échelon de fantassins. Dès 1914-1918, on étudia l’arme portative, avec chargeurs de 20 à 30, donc cadence pratique plus faible, mais pouvant accompagner l’infanterie. Le premier fusil-mitrailleur (F.M.) réussi, le B.A.R., fut prêt en 1918.Peu après apparurent les premières mitrailleuses «lourdes», dans des calibres allant de 12,7 à 14,2 mm, utilisables contre avions et blindés légers.Dans les années 1930, l’Allemagne sortit la mitrailleuse polyvalente , à bipied et assez légère pour être employée comme F.M., mais qui, sur trépied, avait les capacités des modèles classiques sous réserve de changer (quelques secondes) le canon surchauffé par un tir prolongé.L’année 1918 avait aussi vu la sortie du premier pistolet-mitrailleur pratique (Bergmann), léger et maniable, car, employant la munition du pistolet, il utilisait le mécanisme simple – pas de verrouillage – de la culasse non calée. Puissance et précision étaient médiocres, mais c’était une arme pour le combat rapproché, tirée «au jeté» par rafales, le plus souvent, contre des cibles proches.Les premiers fusils semi-automatiques, c’est-à-dire capables de tirer coup après coup sans autre intervention que de laisser revenir et presser la détente, comme pour le pistolet, datent d’immédiatement avant la Première Guerre mondiale. Pas encore bien au point, ils n’y furent guère utilisés, mais les recherches furent poursuivies après le conflit, surtout en U.R.S.S. et aux États-Unis, ce qui donna le Simonov SKS – en nombre limité – et le Garand. Le tir est rapide, et l’attention, non distraite par la manipulation de la culasse, suit mieux les cibles.Sur le front de l’Est, la Wehrmacht s’avisa du fait qu’une puissance d’arrêt à 300-400 m était nécessaire, mais suffisante, pour arrêter les vagues d’assaut massives et renouvelées. Elle opta donc pour un fusil automatique (rafales), mais à cartouche de puissance réduite pour diminuer le poids de l’arme et des munitions. Pour gagner du temps et utiliser les machines existantes, on retint la 7,92 mm du Mauser 98, mais avec charge réduite dans un étui ramené de 57 à 34 mm. Le MP-44 (Sturmgewehr ) fut le premier fusil d’assaut (plus exactement de contre-assaut au moment où il intervint). Après la guerre, l’U.R.S.S. s’inspira fortement du MP-44 pour réaliser son AK-47, y compris par réduction de l’étui de la cartouche normale de 7,62 mm. L’Occident tenta d’abord l’emploi de cartouches normales dans des fusils automatiques; avec un succès relatif: en particulier, la masse des chargeurs limitait l’intérêt de la formule. On en vint donc à des armes utilisant une munition légère mais efficace jusqu’à 400 m, grâce à une vitesse élevée, de l’ordre de 900 m/s. La 5,56 mm (M-193) a une masse de 11,5 g contre 23 à 25 pour des munitions classiques. L’arme pesant les trois quarts et la cartouche la moitié de leur poids respectif antérieur, le soldat peut porter une forte réserve de munitions et/ou des grenades à fusil. Car, malgré les véhicules blindés de transport, le fantassin, en final, donne l’assaut à pied. (L’U.R.S.S. suivit avec la 5,45 mm de son AK-74.)Depuis les années 1960 sont étudiées des cartouches tirant des fléchettes légères, mais la munition de l’avenir semble devoir être celle qui fut mise au point pour le fusil G-11: la «poudre», en bloc compact, peut se passer d’étui. La balle de 4,7 mm a le même poids que la 5,56, mais, plus élancée, elle conserve mieux sa vitesse et reste efficace à 500-600 m. Très ramassée – 34 mm de longueur – et légère – 5 g –, la cartouche prend place en chargeur de 50 (actuellement, car on envisage 100 ou plus en «piles imbriquées») parallèle à l’axe du canon. La chambre rotative permet soit le tir par longues rafales, à 600 coups par minute, soit par rafales de 3 mais à 2 000 coups par minute, ce qui évite le déport: la troisième balle est sortie du canon avant que le recul ait perturbé le pointage (cf. ARMES ET ARMEMENT – Armes légères).3. L’artillerie et les projectiles explosifsLe canonLe canon atteignit une première maturité dès les débuts du XVIe siècle avec la pièce de bronze coulé et l’affût à dispositif de pointage en site, monté sur roues à escuage . Il ne changera pas fondamentalement jusqu’à la seconde moitié du XIXe siècle. Dans les faits, les améliorations furent nombreuses; par exemple l’alésage de l’âme remplaçant la mise en place du noyau de coulée (technique du XVIIe siècle, encore perfectionnée par Maritz en 1740); l’invention du train avant vers 1640; l’amélioration du pointage, par vis sous affût en 1757; la standardisation des calibres du système Vallière en 1732; celle des matériels en 1765 par Gribeauval – matériels qui seront encore utilisés après la Révolution et l’Empire. Mais, encore une fois, fondamentalement le canon de la première moitié du XIXe siècle descendait des pièces employées à Marignan.Toutefois le canon n’est que le moyen de lancement: l’arme de l’artilleur est le projectile. À cet égard, après le boulet de pierre puis celui de fonte, c’est vers 1600 que l’on imagina le projectile explosif (à mèche), sous deux formes: la grenade à main et la bombe de mortier, tirée en trajectoire plongeante, c’est-à-dire parabolique à courte portée. Vers 1640, on imagina de combiner la bombe explosive, de petit calibre, avec le canon: c’était l’obus, relativement peu utilisé pendant longtemps car de mise en œuvre plus difficile que le boulet. Le temps passant, on créa des bouches à feu spéciales pour l’obus; comme pour le mortier, la chambre avait un calibre plus réduit que l’âme, et le tube était plus court que celui d’un canon: la trajectoire, peu tendue, permettait d’atteindre des réserves abritées des boulets par une colline. Frédéric II fut le premier grand utilisateur de l’obusier .En 1822, constatant la faible efficacité des boulets pleins de la marine, sur les coques, le Français Paixhans proposa de les remplacer par le tir horizontal d’obus explosifs et prévoyait que cette innovation imposerait de cuirasser les vaisseaux. Il fallut trente ans pour que ces idées passent dans la pratique courante.Le shrapnel, obus contenant des balles et explosant en cours de trajectoire, date de 1827; la difficulté était de régler la mèche pour une durée très précise.À partir du milieu du siècle, les canons d’acier remplacèrent peu à peu ceux de bronze; d’abord dans la marine, qui pouvait accepter la masse d’un robuste frettage, puis dans l’artillerie terrestre. Peu après, le projectile sphérique fut remplacé par l’obus cylindro-conique à fusée percutante, tiré à travers un tube rayé, et le chargement se fit par la culasse. Mais le tir restait lent – de l’ordre de 1 coup par minute – en raison du recul qui obligeait à repointer la pièce après chaque coup. La solution au tir rapide fut trouvée dans l’accouplement de la pièce à son affût par l’intermédiaire d’un frein absorbant progressivement ce recul. Le premier et longtemps le seul système donnant entière satisfaction fut celui du 75 mm modèle 97. Naturellement, il ne pouvait être question, pour des cadences dépassant 20 coups par minute, d’employer le système de la «gargousse» de poudre chargée après l’obus: le «coup complet» fut encartouché – douille de laiton semblable à un énorme étui de cartouche – pour calibres allant jusqu’au 105 mm. Depuis peu, et profitant d’une source d’énergie externe, le chargement de l’obus de plus gros calibre – 155 mm – et de sa gargousse rigide (douille) combustible sans résidus a pu être automatisé, faisant passer la cadence de 1,5 ou 2 à 6 coups par minute.La bombe d’avionLa bombe d’avion a commencé par le jet, à la main, de petits obus munis d’un empennage de fortune. Puis des projectiles spéciaux furent produits, de masse croissante jusqu’à atteindre 10 t en 1939-1945. En l’absence du violent «choc» de départ de l’obus, il est possible de jouer sur la nature des bombes: parois minces et forte charge pour celles à souffle; plus épaisses, éventuellement préstriées intérieurement, pour celles d’«usage général» et à «fragmentation»; parois épaisses pour les «perforantes» (de béton armé, ponts blindés de navires, etc.).Les grenadesLes grenades furent lancées exclusivement à la main pendant des siècles. Le type défensif est très efficace par fragmentation de la paroi de fonte épaisse en multiples éclats; le type offensif , à paroi mince d’aluminium, a des effets plus psychologiques que pratiques (c’est-à-dire peu vulnérants).Longtemps à mèche, donc à temporisation peu précise, la grenade moderne a reçu un allumeur donnant l’explosion après des délais bien déterminés. C’est la guerre des tranchées qui remit en honneur cette arme quelque peu délaissée; puis on étudia des dispositifs de lancement par fusil pour obtenir des portées très supérieures (plus de 100 m d’emblée, puis 200 à 250 m), au début, par l’énergie d’une cartouche spéciale, désormais grâce au piège à balle , avec munition standard. Depuis 1939-1945, la charge creuse a permis l’emploi de grenades à fusil antiblindés. Les engins courants actuels perforent 300 mm d’acier, avec portée pratique – tir tendu – de 80 m. De récentes grenades à propulsion assistée offrent une portée de 600 m pour les modèles antipersonnel et antivéhicules, à tir courbe; de 200 m en tir tendu pour les antichars (A.C.).4. L’armement anticharLes grenades antichars viennent d’être évoquées. Le fusil de gros calibre de 1917-1918 s’était montré peu efficace contre les chars primitifs contemporains. En revanche, le coup au but d’un canon de campagne était radical; mais ces pièces n’avaient ni le champ de tir ni la mobilité nécessaires. Entre 1919 et 1939 furent mises au point des pièces de petit calibre – 25 à 47 mm – assez légères pour être tractées en terrain varié par des «chenillettes» dont les obus pleins, parfois à noyau extradur, étaient tirés à vitesse initiale très élevée pour l’époque.Mais le conflit connut une rapide escalade des épaisseurs de blindage, avec course parallèle des calibres antichars: ordres de 60, 75, 90 mm. On avait alors dépassé les masses des pièces de campagne du conflit précédent, avec difficultés de camouflage de très longs tubes et, plus encore, de mobilité. Il fallut passer des canons tractés à ceux montés en casemate – champ de tir limité – sur châssis de chars normalement porteurs d’une tourelle à pièce moins puissante. Les effets des charges creuses étaient connus avant 1939, mais ce n’est qu’en 1942 que l’on pensa à en monter sur des projectiles-fusées, donc sans recul, pour armer le fantassin contre le blindé. Vite copié par le RPzB . 88, le bazooka fut le premier lanceur de roquettes antichars (L.R.A.C.). L’un et l’autre avaient une portée pratique (au combat) d’une centaine de mètres. Le nazisme, aux abois, réalisa un engin simplifié, le Panzerfaust , dont la portée de 30 m rendait l’emploi «suicidaire» hors zone urbaine. Depuis, les portées pratiques et les calibres ont doublé largement, et les progrès en détonique ont fait passer la perforation de deux à six ou huit fois le calibre. Des obus de char à charge creuse ont été mis au point. Leur capacité de perforation est, évidemment, constante à toute distance.L’arsenal antichar de l’après-guerre a été renforcé par le missile à charge creuse, portant à quelques kilomètres. La première «génération» devait être pilotée, par fil ou par radio, jusqu’au but. La deuxième ne demande que de garder le réticule de visée sur la cible mouvante. La troisième se contente du «verrouillage» du senseur de l’engin, juste avant tir, sur le blindé (missile du type «tire et oublie»).Mais le blindage classique fait place à des composites ou à des préblindages réactifs. La riposte est dans la charge creuse double, «en tandem»; ou à la transposition de l’obus-flèche, barreau dense à très grande vitesse, au missile-barreau, accéléré à quelque 2 000 m/s (missile A.C. à énergie cinétique).5. Les armes chimiques et biologiquesL’Allemagne lança le 22 avril 1915, près d’Ypres, la première attaque chimique massive; elle fit environ dix mille morts ou hommes hors de combat. Il s’agissait de vapeur de chlore. La suite du conflit connut une «course» parallèle aux produits plus toxiques, mais aussi aux équipements protecteurs. Les effets létaux furent faibles: ainsi 1,1 p. 100 des pertes françaises seulement résultèrent des toxiques, mais les équipements protecteurs gênent considérablement le combattant. Le non-emploi de ces produits pendant la Seconde Guerre mondiale est mal expliqué; plus exactement, les explications avancées sont vagues et contradictoires.Pourtant, dès 1937, l’Allemagne, en cherchant des insecticides, avait découvert le premier organophosphoré , le tabun; en 1939, le sarin; en 1944, le soman. Après la guerre, les amitons furent mis au point. Ces neurotoxiques constituaient un «bond» dans la nocivité, et les trois derniers peuvent agir à travers l’épiderme. Leur existence n’a pas empêché, depuis et en plus, l’emploi de produits créés en 1915-1918, comme l’ypérite , dans des conflits «périphériques» malgré les très vertueuses dénégations des utilisateurs et de leurs «conseillers techniques».Traditionnellement, le classement de ces corps est triple:– selon les effets physiologiques, ils sont suffocants, vésicants, toxiques du sang (dits aussi «généraux»), neurotoxiques;– selon la persistance au point d’épandage, ils sont fugaces, semi-fugaces, persistants; mais certains produits normalement assez fugaces, en particulier par temps chaud et vent fort (sarin, soman), peuvent être «épaissis»;– selon la toxicité, qu’on mesure (unité: le Ct) par la concentration en milligrammes par mètre cube d’air qui, respiré une minute à cadence normale (hors efforts), produit sur n p. 100 des sujets un effet de létalité (L), ou d’incapacitance (I). On parlera donc, par exemple, du Ct 25 (p. 100) incapacitant de tel toxique, du Ct 100 (p. 100) létal de tel autre. À titre indicatif, les Ct 50 létaux – dont, concernant les survivants, le Ct incapacitant est de 100 – sont de l’ordre de 3 200 (mg/m3 d’air) pour le phosgène de 1914-1918; 70 pour le sarin (méthylfluorophosphonate d’isopropyle); 35 pour le soman (méthylfluorophosphonate de pinacolyle).Si les formules sont bien connues, la production impose des règles de sécurité très strictes. D’où les «binaires»: sur trajectoire du «vecteur», le mélange de deux corps, peu dangereux lorsqu’ils sont séparés, donne un des neurotoxiques.L’obus, avec ses épaisses parois et la charge explosive qui doit les rompre à l’impact, mais «brûle» une partie du produit, est un médiocre vecteur: le 155, à obus de 45 kg, ne disperse que 3 à 4 kg. Comme l’avait bien compris et appliqué l’armée soviétique, les roquettes et missiles ont un rendement très supérieur.6. Les armes nucléairesÀ masse égale réagissante, la fission de l’uranium 235 ou du plutonium 239 est dix-huit millions de fois plus énergétique que celle d’un explosif courant, comme le T.N.T. (trinitrotoluène). Mais la rapidité de l’explosion met si vite la charge fissile en configuration non critique que le rendement n’est que de un à quelques dixièmes: le rapport tombe à quelque deux à six millions selon le perfectionnement de l’arme. De plus, la combinaison masse-géométrie initiale doit être sous-critique (y compris en cas d’accident), ce qui limite l’énergie pouvant être tirée de la fission.La fusion d’atomes légers peut produire une énergie théoriquement illimitée, mais elle doit être «allumée» par un dispositif à fission. Toujours à masse égale réagissante, la fusion deutérium-tritium est trois fois plus énergétique que la fission d’éléments lourds.La théorie de la fission est simple (elle était connue dès 1939), au point que tout ingénieur en génie atomique (centrales) peut calculer la masse critique de l’uranium 235 ou du plutonium 239, en configuration géométrique simple, avec une très bonne approximation. Le passage à la pratique pose pourtant des problèmes très ardus, et le mythe médiatique du terroriste isolé qui, s’étant procuré – comment? – l’uranium 235 ou le plutonium 239, fabrique sa bombe sur le coin d’un évier, est parfaitement ridicule. Pourtant, le risque existe bien que des nations peu industrialisées puissent se procurer les matières et les moyens techniques et acheter les services de personnels compétents pour la réalisation d’armes déjà plus évoluées que celles de 1945. Une enquête des Nations unies, en 1991, a montré en effet qu’avec un P.N.B. inférieur au vingtième de celui de la France, pour une population du tiers, l’Irak en était arrivé à un an environ de la réalisation d’armes nucléaires. C’est le danger de prolifération, car, même si un traité a été signé, il ne vaut que par la bonne foi des signataires.On a pris l’habitude de comparer l’énergie des armes nucléaires – ce n’est pas une «puissance», terme qui perdure en France malgré son évidente impropriété – à celle d’une masse de T.N.T. On parle donc de kilotonnes (kt) pour la fission et de mégatonnes (Mt) pour les armes thermonucléaires. 1 kt représente une énergie de 4212 J – ou de 1 150 000 kWh. Cette énergie se répartit en:– effets mécaniques (50 p. 100), avec onde de choc et souffle produisant la destruction des ouvrages de génie civil, des immeubles notamment; l’homme n’est tué directement qu’à faible distance (surpression de crête de 3 kg/cm2), mais peut être victime beaucoup plus loin par sa propre projection sur matériaux durs, ou par blessures dues aux multiples débris lancés à grande vitesse;– effets thermiques (35 p. 100), soit avec un éclair lumineux initial, pouvant provoquer, selon la distance, la cécité définitive ou partielle (brûlure de rétine), ou un éblouissement prolongé; soit une brève mais violente irradiation thermique provoquant des incendies sur de vastes surfaces et, sur l’homme, de graves brûlures; mais l’effet thermique est si bref qu’un écran léger, avant d’être lui-même détruit et/ou soufflé, peut en protéger s’il est situé dans la bonne direction;– énergie radioactive (15 p. 100) qui, à son tour, se partage en émission immédiate (5 p. 100) de rayons gamma et de neutrons (particules), que l’air absorbe sur une distance d relativement courte (outre la dispersion en 1/d 2) et en émission «résiduelle» (10 p. 100) de longue durée provenant des divers particules et rayonnements émis, d’une part, par les produits de fission et, d’autre part, par les corps activés par les neutrons non consommés par la réaction en chaîne. Dans le cas d’une explosion à haute altitude, ces neutrons de dernière génération activent les débris de l’arme, alors vaporisés puis recondensés en très fines poussières dont la radioactivité aura le temps de décroître considérablement avant leur retombée. En revanche, en cas d’explosion au sol, ces neutrons irradient les matériaux constituant le terrain. Les retombées sont alors rapides et nettement plus dangereuses, puisque le temps de désactivation a été très bref. Selon l’énergie de l’arme et les conditions météorologiques, la zone contaminée peut couvrir de très grandes surfaces. L’être humain est beaucoup plus sensible aux radiations que les organismes primitifs. En effet, le sievert (Sv) [100 anciens rems] est l’unité d’équivalence biologique de dose absorbée: à énergie égale reçue, les diverses irradiations ont des effets quelque peu différents. Au-delà de 6 Sv reçus en une fois, les chances de survie sont plus que minces. Vers 30 Sv, il y a sidération du sujet – pour autant que l’expérimentation sur animaux soit représentative.La protection contre les rayons gamma est surtout une affaire de masse interposée; en revanche, le neutron est le mieux arrêté par les éléments les plus légers: l’eau notamment (par son hydrogène). Ce fait a conduit au concept d’arme à effets de radiation renforcés (bombe «à neutrons»): le flux de particules met hors de combat les personnels sous blindage d’acier, mais leur rapide absorption par l’air, avec la distance, permet de tirer à quelque 2 km d’une bourgade sans réel danger pour ses habitants.La décision d’emploi des armes nucléaires est un acte politique, y compris pour les ex-armes tactiques, devenues «préstratégiques», car leur rôle principal est d’annoncer à l’adversaire le passage imminent aux armes «stratégiques» s’il ne renonce pas de manière évidente et immédiate à son entreprise visant la survie, comme nation libre, du pays agressé. (La mise en œuvre aurait pu être confiée à un corps de personnels civils, relevant directement de l’autorité suprême.)7. L’électro-informatique dans l’armementCe bref résumé serait insuffisant sans quelques mots sur la récente et très rapide «invasion» de l’électronique et de l’informatique dans l’armement contemporain.Désormais, pour les systèmes d’armes «de pointe» et leur «environnement» de mise en œuvre, la part de l’électro-informatique arrive à représenter plus de la moitié du coût des matériels. Ces techniques offrent de nouvelles et considérables capacités, mais se payent – sans jeu de mots – d’une croissance des prix de revient vertigineuse: surtout si les dépenses de recherche et de développement ne sont pas réparties sur de très grandes séries. On en arrive donc à cette situation que seules les très grandes puissances peuvent produire ce genre de matériels à des prix permettant leur exportation – ce qui allonge encore leurs séries –, tandis que les industries «émergentes» (Chine, Singapour, Brésil...) proposent les matériels simples à bas prix grâce à des coûts de main-d’œuvre faibles. Les nations européennes sont et seront de plus en plus touchées par cette évolution.
Encyclopédie Universelle. 2012.